🌼 Les noms botaniques francophones
Pourquoi on gagnerait à reconnaître des noms de plantes plus imagés dans la sphère francophone
Le frère Marie-Victorin avait la lourde tâche de dénommer plus de 1500 plantes dans sa Flore laurentienne de 1935, toujours aujourd’hui la référence quant aux livres botaniques du Canada francophone.
Quelques décennies plus tard, l’éditeur québécois Fleurbec parlera de la difficulté d’enseigner les noms français des plantes d’Amérique du Nord, bien plus complexes souvent que ceux des anglophones, parfois inventés par Marie-Victorin lui-même (Lire Flore printanière dès la page 16).
On y note que souvent, l’équipe de religieux a fini par calquer directement les noms scientifiques au français, donnant des noms parfois longs, qui peuvent devenir désuets.
C’est pourquoi Fleurbec a inclus, dans sa Flore printanière, un guide sur une nouvelle nomenclature de plantes francophones.
RĂ©barbatifs, ces noms latins
La Flore printanière utilise le mot « rébarbatif » (défini par le Robert comme un adjectif signifiant difficile et ennuyeux) pour parler des noms scientifiques jugés incompréhensibles pour le grand public.
C’est le cas de le dire, surtout lorsque toutes les espèces du genre Aster autrefois classées comme "Aster d'Amérique" ont été reclassées sous le genre Symphyotrichum, un nom, disons-le, peu évocateur. On ne va pas renommer l'aster d'Amérique à "Symphyotriche" (un mot inventé, mais qui ressemblerait davantage au latin), donc en effet, dans toutes les langues, on utilise encore le nom Aster pour désigner ce genre.
Pourquoi le nom simple est-il important?
Les plantes étant à la base de la chaîne alimentaire, il serait fou de négliger les végétaux qui nourrissent toutes les espèces, incluant nous. Il faut remédier à l’illettrisme botanique, à ce que j’appelle le « mur vert » de chaque côté de soi, lorsqu’on marche dans une forêt sans en connaître les plantes.
Les anglophones sont déjà plus fortunés, d’avoir plus de noms qui proviennent directement de l’usage commun. Dans le genre des viornes, on pense à “Wild Raisin” (viorne cassinoïde, de Viburnum cassinoides), ou encore le “Highbush cranberry” (viorne trilobée, de Viburnum trilobum).
Le mur vert de la forĂŞt. Photo : Neil Vinson
Dans cette photo, on voit plusieurs spécimens d'Aralie à tige nue. C'est un calque du latin, car il n'existait probablement pas de nom commun connu par les autorités en la matière.
Sauf que plusieurs régions l'appelaient salsepareille, comme pour les anglophones qui utilisent Wild Sarsaparilla. Je le sais seulement car je suis allé dans la bibliothèque de l’Université de Moncton pour y trouver l’Atlas linguistique de l’Est du Canada. C’est une enquête conduite dans les années 1970, mais je suis certain que certains francophones connaissent encore cette plante par ce nom. À la Baie-Sainte-Marie, dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, on y répertorie même le nom "Grappe d'ours", référant sûrement à la grappe de fruits sous les feuilles qui se fait manger rapidement par les animaux des bois.
En somme, avoir les noms scientifiques éloignés des noms communs vient avec des inconvénients, comme celui de rendre l’apprentissage du nom scientifique plus difficile. Mais l’important n’est-il pas de pouvoir nommer la plante?
J'avance ici une solution tentative.
Des noms francophones territoriaux
Le livre Flore printanière de Fleurbec nomme des noms très imagés. Leur système à deux noms vaut la peine d’être exploré plus loin. Comme l’« Asaret gingembre » pour Asarum canadense (Asaret du Canada / Wild Ginger), qui évoque parfaitement les deux langues pour faciliter la compréhension. Pour l'Aralie à tige nue, on la nomme l'Aralie chassepareille.
C’est particulier, car le premier nom donne le genre (niveau au-dessus de l’espèce) et le second l’espèce comme telle, comme en latin. Tous les noms du livre suivent cette règle.
Mais qu’en est-il si on demande à sa grand-mère de nommer l’Iris versicolore? Ici, en Acadie, on utilisait le mot « glai », ou « glai de serpent » pour parler de cette plante emblème du Québec.
Viorne bois-d’orignal (Viburnum lantanoides)
Pour revenir à nos viornes, le « raisin d’orignal » était le nom de la Viorne bois-d’orignal en Acadie. Quant à la Viorne trilobée, on la connaissait sous le nom de « Pimbina » dans plusieurs endroits du Canada français, dont ici.
Ces différences font qu’il peut être difficile de retenir une plante, quand les noms communs changent dépendant de la région et que les noms scientifiques évoluent avec le temps.
Je pense que les noms communs peuvent être multiples, car le français au Canada est une langue assez variée selon le lieu. Une meilleure reconnaissance des noms territoriaux pourrait grandement aider ce dossier.
Quoi qu’il en soit, on a besoin de plus de ressources en français afin de créer une masse critique qui maintient en vie les débats sur les noms de plantes. Pour l’instant, on peut apprendre sur les bourgeons d’hiver grâce au site d’un professeur de l’Université du Québec à Montréal, par exemple. Contribuez à ces ressources en soutenant votre éditeur de livres local. Qui sait, peut-être sortira-t-il des livres sur les plantes de la région!